LAUDANUM fut mon premier étalon, acheté un peu par hasard, en 1984. Conforté par l’achat d’ALME l’année suivante, cela a déclenché ma décision de réaliser mon rêve d’enfance, devenir éleveur de chevaux professionnel. Cela a sans doute bouleverser ma vie.

Comment ce petit Pur-Sang alezan est-il devenu un chef de race du stud-book SF ?
Tout d’abord étudions le pedigree de LAUDANUM.
A cette époque, beaucoup de Pur-Sang réformés des courses étaient testés pour voir s’ils pouvaient devenir de bons chevaux de sport en Jumping, CCE ou Dressage.  C’était le cas en France, mais surtout aux USA où la quasi totalité des chevaux des équipes US étaient des Pur-Sang.
Dans le cadre mon activité de journalistes et les études d’élevage que je faisais, j’avais déjà remarqué l’aptitude au jumping de nombreux produits d’un Pur-Sang nommé MOURNE qui n’avait sailli qu’en race pure pour la course et jamais en croisement pour le sport. Son père était le chef de race VIEUX MANOIR et sa mère BALLYNASH par NASRULLAH. BALLYNASH était une remarquable poulinière qui a produit plusieurs étalons de qualité.
Il se trouve que BORAN, le père de LAUDANUM, était un fils de MOURNE et que la mère de LAUDANUM
 pouvait constater
Né en 1967, LAUDANUM appartient à une génération de chevaux de sport exceptionnelle dont de nombreux d’entre-eux ont brillé au plus haut niveau. Toutes les générations de chevaux ne sont pas de qualité égale. Certaines années, il y a plus de cracks qui naissent. Allez savoir pourquoi.
Est-ce lié seulement au hasard ou au climat l’année de leur conception par exemple ?
Bien malin qui peut le savoir, mais toujours est-il qu’il y a des années à champions. 1967 en était une.
LAUDANUM est né chez André Laurens et bien sur destiné à une carrière en courses. Hélas pour son naisseur, ce ne fut pas la destiné de ce cheval de gagner en courses dont il deviendra vite un « réformé ».
Un notaire de Chateauroux, Me Leon Lacroix, l’achète alors un petit prix pour en faire un cheval de selle. C’est son fils qui va le débuter en concours hippiques. 
En 1973, son cavalier se blesse au paddock lors d’un concours régional et demande à un jeune cavalier girondin de 19 ans, Pierre Durand, de le monter au pied levé. LAUDANUM a alors 6 ans. Pierre avait déjà remarqué ce petit Pur-Sang à la robe très flatteuse (alezan doré aux crins lavés, avec de grandes balzanes) et rêvait déjà de le monter. Il en était « déjà amoureux avant même de l’avoir essayé », raconte-il. 
Il se souvient du premier saut exceptionnel qui fut « un moment de grand bonheur ».
Ce fut un coup de coeur immédiat, contrairement à JAPPELOUP, l’autre cheval qui rendit plus tard Pierre Durand célèbre et champion Olympique.
Avec LAUDANUM l’entente fut réciproque et dès le premier concours ils ont enchainé les parcours sans-faute. Quelques mois plus tard LAUDANUM lui était confié pour une belle carrière internationale qui dura 6 ans.
Petit cheval très attachant, intelligent, joueur, dont Pierre avait rêvé, LAUDANUM devint son premier cheval de Grand Prix de CSIO.
Dès l’année suivante le jeune homme de 20 ans et le petit (1m64) Pur-Sang de 7 ans débutaient en Grand Prix de CSIO et se classaient déjà 2e du Grand Prix de Gijon !
A cette époque, les cavaliers étaient sans doute moins précautionneux avec leurs montures et entamaient leur carrière internationale dès l’âge de 5 ou 6 ans. De plus Pierre le dit encore, sans coach, il était cavalier autodidacte et il est allé beaucoup trop vite dans la progression de la carrière de LAUDANUM.
Mais le petit cheval était tellement doué, tellement généreux que tout semblait simple et facile avec son équilibre merveilleux. Il le montait au feeling sans travail structuré. Pierre avoue que si leurs chemins s’étaient croisés dix ans plus tard, il aurait fait de LAUDANUM un très grand champion.
L’année suivante en début de saison LAUDANUM et Pierre remporteront leur plus belle victoire, le Grand Prix de Pau qui était à l’époque l’une des épreuves phares en France. Ils battent BAYARD DE MAUPAS et Marcel Rozier. Pierre dit que c’est cette victoire qui a « engagé sa carrière à haut niveau ».
Il se voyait déjà qualifié pour les Jeux Olympiques de Montréal 1976. Mais le couple était très jeune et inexpérimenté. Finalement ils ne firent pas partie de cette équipe qui a rapporté la médaille d’Or.  
Pierre se rattrapera quelques années plus tard !
Lors du Grand Prix du CSIO de La Baule 1975, au barrage Pierre fait une grosse erreur d’abord sur un énorme oxer et LAUDANUM fait panache. Le cheval si intuitif et confiant s’est fait peur et il faudra un moment avant qu’il ne reprenne totalement confiance en son cavalier. La belle carrière internationale de LAUDANUM et Pierre se poursuivit jusqu’en 1979, LAUDANUM avait alors 12 ans. Un accident grave avec claquage d’un tendon stoppa sa carrière à haut niveau. Il subit une opération avec pose de fibre carbone. 
LAUDANUM était l’un des premiers et très rares « étalons performers » en CSI à une époque où 95% des étalons en France appartenaient aux Haras Nationaux et ne faisaient pas du tout de compétitions sportives. C’était également à la même période qu’ALME (d’un an plus plus âgé), avait débuté les concours hippiques. 
LAUDANUM débuta la monte en 1977 a haras de la Cour Bonnet chez Henriette van Rimsdick (14). Mais hélas, il ne servit que de « souffleur » pour les juments destinées à SANS SOUCI, connu pour avoir remporté le Grand Prix d’Aix La Chapelle avec Marcel Rozier … mais un étalon dont on a totalement oublié le nom !
LAUDANUM ne servira qu’une seule jument pour ses débuts. Puis il partit dans l’Orne au haras des Tuileries puis de Villepelée, chez le Dr Blanchard, à qui je confirais plus tard ALME quand je le ramènerais en France.
Là, il saillit 23 juments et produisit 16 poulains naissent en 1979 dont les plus connus furent NASHVILLE (Invincible) ISO 164, l’étalon de l’acteur Jean Rochefort et NEURINE (ISO 151) qui devint la mère du bon étalon ROYAL FEU (Lord Gordon).
Pour ses sept premières saisons de monte en Normandie, LAUDANUM ne saillit que 144 juments pour donner naissance à 91 poulains.
En 1980 naissent 8 poulains dont l’étalon OBERON DU MOULIN (Invincible) ISO 170, puis en 1982 QUASTOURELLE (Quastor) ISO 166. En 1983 naissent le champion RASPAIL (As du Beaumanoir) ISO 182 avec RY Bost et le seul performer en CCE de LAUDANUM, RADJAH DE LALEU (Beau Fixe ps) ICC 165. L’étalon SUPER DE BOURRIERE (Ric et Rac) ISO 165 nait en 1984. 
Puis en 1984, LAUDANUM est envoyé en Aquitaine dans la région de Bordeaux pour y faire la monte et il ne rencontra pas le succès car il ne saillit que 12 juments.
Cette année là était celle des Jeux Olympiques de Los Angeles.
J’étais alors journaliste et rédacteur en chef de la revue équestre L’Eperon et chroniqueur pour le Quotidien de Paris.
C’était une époque où les outils de communication étaient bien différents et peuvent paraitre aux nouvelles génération très archaïques. En effet, il n’y avait ni fax (obsolètes), ni internet pour communiquer avec nos journaux et magazines. Nous étions obligés de dicter nos articles par téléphone en tenant compte du décalage horaires entre la Californie et Paris. 
Avec un groupe de journalistes, nous avions donc organisé notre séjour en louant une grande villa (avec piscine) à Santa Monica, assez proche de l’hippodrome où avaient lieu les sports équestres. 
N’étant pas à l’hôtel pour gérer l’intendance, nous avions amené un jeune homme qui gérait la maison et faisait la cuisine. L’ambiance était studieuse à certaines heures puis plus festives et chaleureuses une fois le travail terminé. Le soir nous organisions des diners autour de la piscine.
Une de mes collaboratrices à L’Eperon, Karine Devilder, était la soeur jumelle de Nadia Durand (épouse de Pierre qui montait JAPPELOUP à Los Angeles). Nous l’avons invité à diner un soir et la conversation est arrivée sur LAUDANUM. Nadia me racontait que le cheval fétiche de Pierre sombrait dans les oubliettes et que c’était vraiment dommage. Je lui dit que j’allais réfléchir pour trouver une solution pour le ramener en Normandie. 
Voilà comment je me suis intéressé à la carrière d’étalon de LAUDANUM.

Quelques mois plus tard, je pris contact avec Pierre afin qu’il me présente Me Lacrois, toujours propriétaire du cheval. Nous avons convenu d’un rendez-vous lors des ventes de Poitiers ( les ventes prémices de FENCES).
Comme je me suis toujours intéressé au monde des courses, nettement plus professionnel que celui du sport, je me suis dit que l’on pourrait tenter d’organisation une « syndication » (comme ils le font pour les étalons de Pur-sang sortant de leur carrière de courses. Pour ceux qui ne savent pas en quoi consiste une syndication, c’est la vente d’un étalon en parts, chaque part donnant droit à son acquéreur à une saillie gratuite par an, en contre partie de l’entretien de sa quote part des frais annuels.
Comme à l’époque la tradition voulait qu’un étalon en monte naturelle ne saillisse que 40 juments, je décidais de faire un syndicat de 40 parts.
Je soumettais donc à Me Lacroix ce projet et il me proposa de conserver 50% des parts de l’étalon et me permis de vendre le reste des parts. Il fut aussi décidé que j’aurais droit à plusieurs parts de l’étalon en guise de commission pour le travail effectué.
J’étais convaincu que la place de LAUDANUM était dans la Manche, là où il y a le plus de poulinières en France et des juments qui lui conviendraient morphologiquement. Mais comment convaincre les éleveurs de la Manche, très traditionnels  et tous habitués à ne travailler qu’avec les étalons des Haras Nationaux !
J’appris par Me Lacroix que le célèbre et visionnaire Fernand Leredde (haras des Rouges) avait fait une offre pour louer LAUDANUM. Mais, il ne lui faisait sans doute pas assez confiance pour l’acheter. Quand il appris que j’avais remporté la partie, Fernand commença à dénigrer LAUDANUM sur le fait qu’il était petit et alezan avec du blanc etc …
Je suis allé le voir et je lui ai dit qu’il fallait qu’il soit fairplay. Je l’ai convaincu que s’il avait souhaité le louer, c’est que l’étalon lui semblait très interessant et qu’il lui plaisait. C’était, en effet, le premier étalon Pur-Sang gagnant en CSIO, Grand Prix 1m60 !
Finalement, Fernand fut le premier éleveur normand à acheter u ne part de LAUDANUM. Cela dit, il ne prenait pas un gros risque car le prix de la part était l’équivalent de celui d’une saillie, soit de 6000 FR ht (1900€ aujourd’hui), donc amortissable dès la première année de monte.
ALME sera syndiqué l’année suivante pour 20 000 FR (5800€ d’aujourd’hui) la part (le prix d’une saillie également).
Fort de ce premier contrat signé avec l’un des cinq éleveurs de pointe dans la circonscription de Saint-Lô, je prenais mon « bâton de Pellerin » et j’allais voir les quatre autres. Je commençais par un des plus coriaces, Alain Navet (haras de Baussy) que je réussi à convaincre. Puis ce fut le tour de Jean Brohier qui enfin d’Alexis Pignolet (haras d’Elle).
Ue fois ce « tour de table » accompli, il fut plus aisé de vendre les parts restantes.
J’avais décidé de stationné LAUDANUM dans un nouveau haras dans la Manche, le haras de La Gilosterie. En effet, un ancien groom du Dr Blanchard qui avait connu LAUDANUM à Villepelée y était depuis peu comme stud-groom. J’avais sympathisé avec le propriétaire des lieux et j’avais confiance dans son jeune  employé … Patrice Boureau. LAUDANUM a lancé la carrière de Patrice et je lui ai laissé l’étalon jusqu’au bout, même quand j’ai créé mon propre haras à Brullemail en 1986. Je pense qu’à cette époque, si je lui avait retiré LAUDANUM, il n’aurait, sans doute, pas acheté le haras de son patron et ne se serait pas installé à son compte.
Donc en 1985, je fais envoyer LAUDANUM au haras de La Gilosterie à Sainte Marguerite d’Elle. Pour sa première saison de monte sous ma houlette, il va saillir 57 juments (presque 5 fois plus que l’année précédente) pour donner naissance à 35 poulains, dont 5 furent indicés en CSO à plus de 150.
En 1986, il a sailli 53 juments et parmi les 29 poulains nés, on note les bons VARENGERE (incitatus) ISO 163 et VENEUR D’ETENCLIN (Quastor) ISO 162.
Des 22 naissances 1988 et  33 en 1989 , il a engendré  3 bons gagnants en 88 dont BRIGAND D’ETENCLIN (Histrion) ISO 174 et l’année suivante 3 bons gagnants dont CHERGAR MAIL ISO 165, CONDOR FLAMME ISO 169.
LAUDANUM faisait toujours la monte naturelle car les Pur-Sang, même de croisement, n’avaient pas le droit d’être utilisé en insémination artificielle de semence fraiche. Pourtant , les Haras Nationaux qui régnaient en maître absolus à cette époque, avait utilisé en insémination de semence congelée leur Pur-Sang AMARPOUR. J’ai donc fait une demande à la commission du stud-book qui a été rejetée un première fois. J’ai fait appel et finalement ils ont accepté que LAUDANUM puisse être utilisé en IAF. Il commençait à vieillir et « grimper » sur le dos des grands juments qui venaient à la saillie devenait de plus en plus compliqué, même si on lui avait aménagé une sorte de tremplin pour que les juments soient en contre-bas !
En 1990, même s’il a sailli davantage de jument, ce ne fut pas une de ses meilleure génération car sur les 30 naissances, seulement DU GATEAU (Night and Days ps), Top price des Ventes FENCES 1994, (ISO 154) et POMONE DE COUZEIX (Iago aa) ISO 161 se sont fait remarquer.
Les deux années où LAUDANUM a sailli le plus grand nombre de juments furent 1991 (63 juments) et 1992 (67 juments). De ces deux générations, on note surtout la réussite de des « F » de 1993, FERSEN MAIL (Almé) ISO 167, et le crack FIRST DE LAUNAY (Quastor) adjugé à 4 ans à FENCES (ISO 189).
1993 sera la dernière année « publique «  de LAUDANUM avec 48 saillies pour 27 naissances , excellente génération de performers dont 5 avec un indice supérieur à 150 parmi lesquels GRIM SAINT CLAIR (Invincible) ISO 174, GRACE DU FRAIGNEAU (Gaverdi ac) ISO 165, GERFAUT D’HELBY (Double Espoir) ISO 168.
LAUDANUM avait 27 ans en 1994 et compte tenu de son état physique, nous avons décidé de limiter le nombre de juments à une douzaine. Ce sont donc seulement 9 poulains nés en 1995 dont le petit champion HASTINGS (Quastor) ISO 175. LAUDANUM arrêta la monte en 1995 à l’âge de 28 ans. Il nous quittera pour le paradis des chevaux à l’âge de 30 ans.
A posteriori, on se rend compte que LAUDANUM a particulièrement bien croisé avec les poulinières issues d’étalons de la lignée IBRAHIM, notamment ALME et QUASTOR qui étaient oncle et neveu puisque fils et petits fils de GIRONDINE (Ultimate ps).

BLC